Pages

jeudi 14 mars 2013

Cuba, côte sud: 30 janvier - 12 mars

Mercredi 30 janvier, Nonna est encore visible sur le quai au loin, et nous sommes déjà secoués par la houle... Nous savions que la traversée du canal du Yucatan -surtout dans le sens du retour vers Cuba- serait pénible à cause de la mer levée par le Gulf Stream. Mais nous n'imaginions pas ce qui nous attendait pour ces 36 heures de navigation vers l'est: malgré une météo plutôt favorable (30 noeuds de vent, quand même, mais orientés sud est), nous subissons tous -sauf Luca, qui fait preuve encore une fois d'une résistance à toute épreuve- la première journée avec grand peine, affaiblis par d'épouvantables nausées dans une mer totalement confuse. Seule consolation, celle de naviguer de concert avec Sandokan, un bateau hispano-chilien rencontré à la marina de Puerto Morelos au Mexique et skippé par le charmant Marcos: de temps en temps, nous nous appelons par VHF pour prendre des nouvelles les uns des autres. On se sent moins seul...

Les conditions, heureusement, s'apaisent un peu la nuit de sorte que les enfants, au moins, peuvent dormir plus ou moins normalement. Vers 17 heures, jeudi 31, nous arrivons au mouillage devant la marina a la Isla de la Juventud - quoique n'étant pas un port d'entrée dans le pays, les autorités s'y montrent conciliantes et tolèrent notre présence (inutile d'envisager, toutefois, de quitter le bateau et de  mettre un pied à terre) pour la nuit ainsi que la journée du lendemain afin de laisser passer le fort vent causé par le front de nord qui rendrait notre progression très difficile vers Cayo Largo où doivent être accomplies les formalités d'entrée. Il faut dire que, pour 6.000 km de côtes, Cuba compte sept (!) "marinas" en dehors desquelles il n'est pas question d'entrer ou de sortir du pays. Comme si cela ne compliquait pas assez les choses, les déplacements de mouillage en mouillage dans les eaux cubaines sont, eux aussi, très strictement surveillés: l'ancrage n'est pas autorisé partout - loin de là - et quand il est permis, il reste sujet à d'incontournables démarches (consistant parfois pour les "officiels" nous rendant visite à bord en un griffonnage, sur un coin de papier, des informations relatives au bateau et à son équipage - peu importe, du moment qu'il y a contrôle...).

24 heures de traversée, encore, pour rejoindre laborieusement Cayo Largo à l'est (nous serrons le plus possible le vent qui souffle presque face à nous, mais n'échappons pas à quelques bords qui rallongent la route). Samedi 2 février, double surprise à l'arrivée: l'eau est de plus en plus belle à mesure que nous approchons (nous finissons sur un mer turquoise et transparente, laissant voir les fonds de sable blanc éclatant...), et la famille Chavanon au grand complet nous accueille en nous escortant en dinghy jusqu'au ponton de la marina. Ces bons vieux Pingouin! Il s'agit de profiter au maximum de ces quelques jours à passer ensemble, car suite à un changement dans leur programme de navigation, nos routes vont se séparer lorsque, autour du 10, ils fileront vers le Mexique avant de descendre au Bélize et au Guatemala puis de remonter (peut-être...) vers la Floride, les Bermudes, puis l'Europe.

Nous sommes rejoints assez vite par Jérémy, sur son bateau Manao, et allons passer tous ensemble trois jours à jouer les Robinsons autour de Cayo Rosario, à 20 milles de Cayo Largo: pêche sur le récif, nage, construction de cabanes et ramassage de trésors divers sur la plage... Rires et chansons dans le cockpit le soir, et même un gâteau pour mon anniversaire, avec un brin d'avance!

Le 8, nous nous disons au revoir avec le coeur serré et la tête pleine de tous les souvenirs rassemblés en commun pendant 8 mois de navigation (presque) conjointe... Salut les copains, quelle belle et bonne rencontre ce fût. Qui sait où et quand nous nous reverrons... D'ici là, prenez soin de vous.

Trois jours plus tard, à Cayo Largo, nous accueillons très excités Ariane et Max arrivés bravement jusque là après un voyage de près de deux jours comprenant une courte nuit à La Havane. C'est leur troisième (!) visite à bord, les présentations ne sont donc plus à faire... Leur présence est d'emblée naturelle et les conversations, comme les jeux des enfants, reprennent comme si elles avaient été à peine  interrompues. Avec eux, nous passons quelques jours de mouillage en mouillage (dont un retour à Cayo Rosario) - pêche à la langouste, plage et collection de carcasses de crabes - avant de retourner à la marina de Cayo Largo d'où nous cherchons désespérément à découvrir un peu le reste de l'île. En vérité, il n'y a rien ici que quelques hôtels, tous propriétés de l'Etat et pratiquement identiques à quelques nuances près: taille et "style" architectural (façon colosses de béton défraîchis -ont-ils jamais été neufs?- avec ça et là un mur turquoise ou jaune, et/ou une fontaine -invariablement sèche- pour égayer un peu), formule all inclusive - tout, jusque dans la composition des buffets et les "divertissements" proposés (toujours un échiquier géant et un cours d'aquagym donné sans conviction par une jeune femme au généreux postérieur, ou un match de volleyball sur la plage - oups, il n'y a plus de filet) semble uniformisé. Aussi nous faisons, avec quelque appréhension mais finalement pas trop de scrupules, l'étrange expérience de passer deux journées presque complètes au bord de la piscine de l'hôtel Sol Cayo Largo, "comme si" nous y étions clients, à nager, boire et manger sans débourser un sou. Une formule gagnante pour tout le monde, quand on réalise que l'on peut par la même occasion se procurer directement auprès du responsable des cuisines, ravi de se mettre un billet en poche, quelques légumes frais si difficiles à trouver en l'absence totale de magasin d'alimentation sur l'île. Un avitaillement por la mano izquierda, à la cubaine...

La semaine a filé vite, et voilà déjà Ariane et Max repartis dans un coucou d'Air Gaviotta vers La Havane, d'où ils rentrent à Bruxelles... Du fond du coeur merci d'avoir bravé la distance, les nausées, le décalage horaire et le dépaysement total de la vie en mer pour venir, encore une fois, partager un morceau de l'aventure. Ta présence pendant ce voyage, Ariane, aura été une constante très précieuse...

click here to view photo album

Mercredi 20 février, après avoir surmonté les incontournables démarches de sortie, nous quittons Cayo Largo et nous mettons doucement en route vers Cienfuegos, avec une halte en chemin pour la nuit à l'abri (relatif) derrière une caye perdue. On continue donc à avancer vers l'est, soit contre les vents dominants. Nous ne nous accordons que peu de temps pour visiter Cienfuegos: quelques flâneries dans les rues du centre historique, un tour en calèche, une tentative laborieuse de trouver du ravitaillement et, surtout, une visite dans une école ("El Guerillero Heroico") pour donner à d'irrésistibles enfants en uniforme (béret orné d'une étoile et portrait du Che accroché à la chemise...) les jouets soigneusement sélectionnés par Luca et Vadim parmi les boîtes accumulées dans le bateau.

En vue de l'arrivée imminente de mes parents, a.k.a. Poupik-et-Mami, nous continuons notre route rapidement pour arriver à Trinidad le 23. Le lendemain, à la "marina" (encore une fois des installations défraîchies et inachevées), nous les cueillons au sortir du taxi qui les amène de La Havane (6 heures de route!). Embrassades, effusions, grande joie. Ensemble, nous décidons de revoir à la baisse les plans ambitieux que nous avions initialement prévus pour leur séjour à bord, consistant en une navigation de près de 120 milles jusqu'à l'extrémité est de l'archipel des Jardins de la Reine. Pour ne pas devoir cravacher et donc mieux profiter de leur présence à bord (et pour éviter, aussi, des problèmes administratifs liés à leur débarquement hors d'un port pourvu d'un bureau d'immigration), nous visons donc de faire des ronds dans l'eau dans les cayes proches de Trinidad, et de terminer par la visite de la ville.

Sans conteste, c'était la bonne décision: le rythme des navigations, quotidiennes mais assez courtes, nous laisse largement le temps de profiter des mouillages, nageant, pêchant, lisant, parlant, jouant... et partageant le rhum-citron du soir dans le cockpit au coucher du soleil. Quatre jours passés à vivre ensemble à bord; leurs deux précédentes visites, à Majorque et à Washington, ayant été essentiellement terrestres, nous sommes tous les quatre ravis de partager vraiment avec eux ce qui fait notre quotidien depuis près de deux ans, et enchantés de voir comme ils y trouvent spontanément leur place. Point d'orgue de leur séjour, une journée de promenade sur les pavés de Trinidad (et un bain chaud dans le ravissant hôtel Iberostar!) à l'atmosphère exquise... Merci, Papa et Maman, Poupik et Mami, de votre visite qui nous a comblés.


click here to view photo album


Pendant deux jours après leur départ, nous restons à l'ancre devant la marina de Trinidad avant de repartir, mardi 5 mars, pour avancer autant que possible à la faveur d'une météo annonçant des vents inhabituellement peu orientés est. Notre but, en effet, est de longer la côte pour contourner la pointe est (Punta Maisi) et rejoindre, sur la côte nord, le premier port de sortie, Puerto Vita, d'où nous traverserons vers les Bahamas. Les conditions, en effet, se révèlent extraordinairement favorables: le vent est assez irrégulier, surtout la nuit (ce qui suppose des ajustements presque constants de voilure et le sommeil est donc rare -surtout pour Marc...) mais l'allure est bonne et nous avançons avec un vent soufflant plutôt du nord, presque au travers - à mille lieues de la lutte que nous pouvions craindre au près serré dans les vents d'est dominants... Good planning, capt'n! Finalement, nous avalons d'une traite 400 milles nautiques (au large de Guantanamo, nous sommes interpellés poliment à la VHF par les coastguards américains, qui s'étaient approchés de nous en faisant vrombir les moteurs de leurs vedettes, pour nous signifier que nous ne devons pas nous aviser de changer de cap car la navigation est interdite à moins de trois milles de l'entrée de la baie) et arrivons vers 10 heures du matin le vendredi 8, trois nuits et trois jours après notre départ de Trinidad, à Baracoa à l'extrémité nord-est de Cuba. Fatigués mais contents...

Sur notre lancée, et pressés par la météo qui prévoit une fenêtre limitée pour la traversée vers les Bahamas les 12 et 13 mars, nous continuons notre chemin dès le lendemain de notre arrivée à Baracoa, pour avancer d'une quarantaine de milles par jour jusque Cayo Moa, puis Bahia de Nipe, et enfin Puerto Vita, ne nous arrêtant que pour la nuit.

Mardi 12 mars, nous rendons aux autorités cubaines nos visas et remplissons les derniers formulaires de sortie, puis mettons le cap au nord pour Long Island, dans le sud des Bahamas. Encore 150 milles nautiques, 24 heures de traversée, pour méditer sur ce mois et demi passé à Cuba: la sensation d'y être coupé du monde (internet, ici, est pratiquement inexistant, ce qui explique mon 'silence' sur le blog pendant tout ce temps), le dénuement et la décrépitude, l'obsession des contrôles, parfois en dépit du bon sens - autant de stigmates de la chape de plomb imposée par Fidel qui rend le pays anachronique à bien des égards et assez peu "accueillant" pour la navigation. Mais aussi des kilomètres de côtes vierges, des mouillages magnifiques, une pêche miraculeuse, des décors étonnants, de la musique, des visages souriants et aimables, et des tonnes de souvenirs, encore, qui émaillent notre aventure...




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.