L'arrivee en debut de soiree a Porto Torres restera un mauvais souvenir. A cette heure, il n'y a plus personne a la capitainerie pour aider a la manoeuvre d'amarrage. La bonne volonte de deux Italiens sautes de leurs bateaux pour nous donner un coup de main ne suffira pas: apres deux tentatives avortees de s'accrocher au quai dans le bassin principal (le vent nous pousse lateralement et Panta Rhei est trop lourde, sa poupe derive), on decide qu'il convient de tenter notre chance dans le bassin d'a cote - sans savoir, puisque rien ne l'indiquait, qu'il y avait dans le passage un haut-fond cree par les autorites du port elles-memes lorsqu'elles ont decide, quelques annees plus tot, de rogner le quai sans toutefois se preoccuper de deblayer les morceaux de beton coules au fond... BANG! Marc est livide et furieux ("Je vais les attaquer en justice! Ils sont responsables!!"). Quant a moi...je m'efforce d'accepter definitivement, et en silence, l'idee de ne quasi jamais plus voir un quai de pres.
En outre, l'endroit est sans charme, et surtout effroyablement bruyant. Finalement ce sera une chance, puisque Marc file oublier sa colere dans les rues de la ville afin de voir ce qui s'y passe. Il y decouvrira des hordes de Sardes en liesse, corteges, cotillons, farandoles et deguisements de champignons: c'est le grand Carnivale d'Estate, une sorte de Rio couleur locale... Voila de quoi se changer efficacement les idees !
Nous ne nous attardons pas le lendemain matin et (apres que Marc ait plonge dans les eaux pour le moins suspectes du port pour constater les degats du choc d'hier sur la quille), filons vers l'isola Asinara, etonnant endroit a l'allure de bout-du-monde abritant semble-t-il une ancienne prison et peuplee quasi exclusivement d'anes et de chevres. Nous passerons la deux jours a attendre que passe le gros coup de mistral, a ramasser des cranes de chevres et a cogiter sur le meilleur moment pour entreprendre la traversee vers Minorque.
Ici, pas de reseau telephone, et encore moins de connexion internet. Impossible donc de mettre a jour les fichiers meteo sur l'ordinateur de bord. Je tente meme un voyage en bus (un bus!? quelle chance!!), par la route unique, un ordinateur portable sous le bras, pour trouver plus loin du wifi dans un improbable bar plante au milieu de nulle part. On me rit au nez quand j'explique ce que je viens chercher. Je rentre donc bredouille au bateau, ou je trouve Marc en train de se battre avec le fonctionnement du telephone satellite. Finalement, il parviendra par ce moyen a telecharger les dernieres previsions du temps. Conclusion: il faudra vraisemblablement profiter d'une bonne fenetre de vent annoncee vers quatre heures et demi du matin le 10.
Nous partons donc la veille en fin de journee (apres que Marc ait plonge pour voir, allez encore une toute petite fois, l'etat de la quille...) pour aller nous attacher, pour la nuit, a une bouee situee devant la passe qui ouvre vers l'ouest, etroite bande de mer entre l'ile Asinara et le reste de la Sardaigne, truffee de hauts-fonds. Nous devrons la franchir pour passer "de l'autre cote" de la Mediterranee et entamer notre traversee transfrontaliere...
Asinara...morts ou vifs |