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dimanche 11 décembre 2011

Transat - part III


Samedi 3 décembre:

Le vent faiblit à 15 noeuds mais nous continuons de progresser rapidement vers l'ouest. Notre moyenne journalière dépasse 170 milles nautiques. Le comportement marin et la vélocité de Panta Rhei sont une source permanente d'émerveillement et de fierté pour le capitaine. Par modestie, je n'ai pas mentionné lors de la derniere mise à jour du blog que le voilier de 48 mètres croisé la nuit dernière avait été "séché" sans la moindre difficulté (Panta Rhei courant un noeud plus rapidemment que notre concurrent du soir). Notre joie guerrière équivalait sans doute au désarroi et à l'incrédulité de l'équipage du Regina Maris, laissé sur place avec shorts et T-shirt assortis.

Rapport de pêche: une coryphène monstrueuse - un specimen de 1.5m - sûrement envoyée par ses semblables pour mettre fin au carnage des derniers jours réussit avec maestria sa mission de sabotage en explosant le frein de notre moulinet avant de s'échapper ravie. Notre équipement est detruit mais nous ne capitulons pas. Frank invente un système ingénieux de relais, faisant passer le fil de la pêche autour d'un winch: celui-ci sonnera l'alerte et servira de frein en cas de prise.... Nous reprenons l'avantage ! Nous agitons sur la plage arrière du bateau notre tube de wasabi, prévenant les futurs candidats au sashimi que le combat n'est pas fini.

A 12h, Gran Canaria, notre point de départ, et la Martinique, notre destination finale, sont toutes deux distantes d'exactement 1350 miles nautiques, ça progresse ! Notre position est au sommet d'un gigantesque triangle isocèle dessiné entre les Canaries et les Antilles:  je vous laisse quelques minutes pour calculer la longueur de la route directe, c'est-à-dire l'hypoténuse de notre triangle (la racine carrée de la somme des carrés des deux autres côtés, ça vous rappelle quelque chose?).

Dimanche 4 décembre:

Panta Rhei continue sur sa lancée, parcourant aujourd'hui 169 miles.

Après la messe dominicale, nous nous réunissons dans le cockpit pour phosphorer quelques instants entre amis. Thème du jour: imaginer une paille "suce orange" qui se forerait directement dans la peau du fruit afin d'en extraire le jus. Les idées fusent pour développer cet ustensile indispensable a tous les idiots qui, comme nous, partiraient en voyage avec de grandes quantités d'oranges, une grande envie de jus mais pas de presse fruit. En attendant la commercialisation de nos géniales trouvailles nous pressons frénétiquement le précieux nectar directement de l'orange a la bouche.... Les grognements satisfaits qui s'échappent de nos barbes hirsutes et maculées de pulpe offrent aux rares oiseaux qui nous croisent encore un spectacle digne des premieres heures de l'humanité... ça reste entre nous.

Nous terminons ce jour le fromage en tranches et, plus grave, le rhum. Le regard perdu de Frank et Francois en dit long sur la tragédie qui se noue à cet instant.

Lundi 5 décembre:

Nous avons navigué à plus de 8 noeuds de moyenne cette nuit, sous un vent établi a 20-25 noeuds. Nous continuons sur la même latitude, 15° N, mais la température augmente sensiblement jour après jour.

Mardi 6 décembre:

Le vent tombe et une zone de calme sur la route directe vers la Martinique est annoncée pour la fin de la semaine. Nous décidons de modifier notre cap de plus de 30 degrés afin de passer 150 milles au sud de cette route et garder ainsi du "vent frais" dans les voiles.

Nous sommes ce matin a mi-chemin entre le Cap Vert et la Martinique (1036 miles de chaque cote).

Nous perdons de plus en plus la notion des jours qui défilent, obéissant a d'autres rythmes (cycles biologiques, quarts, vent, condition de la mer). L'élasticité du temps semble proportionnelle à l’éloignement de la terre ferme (c'est bien ça, la théorie de la relativité non?!).

Personne à bord ne souffre de cet isolement. La symbiose s'opère tout naturellement. Etre si loin des côtes génère même une forme d'ivresse: mélange subtil d'abandon aux éléments qui nous entourent et de conscience aiguisée de nos capacités physiques et mentales à y faire face. Nous sommes en confiance.

Je repense à la "Longue Route" de Bernard Moitessier et comprends mieux sa fascination mystique pour la haute mer. Nous sommes partis il y a seulement sept jours du Cap Vert. Lors de la première course autour du monde sans escale en 1968 (Golden Globe), Moitessier passe 7 mois en mer avant de renoncer, en face du Brésil, à une victoire assurée pour poursuivre encore quelques mois sa route solitaire jusqu'à Tahiti... l'appel du large était le plus fort. 

Mais pas de panique Céline, on se voit toujours le 16 décembre au Marin...

Mercredi 7 décembre:

Le vent a augmenté graduellement cette nuit pour se stabiliser à plus de 25 noeuds. Un second ris dans la grand voile devient nécessaire avant le lever du jour.

A la fin de la manoeuvre, le barreur de quart qui souhaite rester anonyme (ça arrive à tout le monde, Frank) perd le sens du vent dans un moment de confusion et empanne accidentellement. Le bateau se lance alors, gênois a contre, dans un pirouette acrobatique à 800 milles nautiques de la côte, et effectue un 360 degrés du plus bel effet. Quelques objets volent dans le carré mais aucune casse a bord, et le frein de bôme a parfaitement joué son rôle d'amortisseur ! Nous tirerons les leçons de cette mésaventure avec quelques règles simples pour les manoeuvres nocturnes. Plus question de jouer au “derviche tourneur” avec les 17 tonnes de Panta Rhei, qui a définitivement passé l'âge...

Nous parcourons 172 miles aujourd'hui sur un cap 255 N, pointant vers la Guyane Francaise.

Une mise à jour des fichiers météo nous révèle des conditions de vent faibles et variables dans les prochains jours. L'arrivée sera lente et poussive.

Au rayon frais, nous terminons les carottes et les poivrons. Nous n'avons toujours pas touché une conserve depuis notre départ du Cap Vert il y a huit jours.

Ce soir nous mangeons des focaccia préparées par le capitaine suivant la recette de la Nonna - faut pas se laisser aller !


Jeudi 8 décembre:

Le vent tombe autour de 10 noeuds. Nous couvrons 154 milles (seulement ?!) sont couverts en 24 heures.

Nous nous arrêtons en début d'après-midi pour notre premier bain au milieu de l'Atlantique.

Plongeons du balcon, sauts depuis le tangon, pirouettes et galipettes nautiques sont au programme libre de chacun. Totalement jouissif, mis à part la vision de club de nudistes quadragénaires à la sortie de l'eau... Nous repartons au moteur (grrrr).

Nous nous faisons capturer notre sardine fétiche tant appréciée des coryphènes. A 17 heures, envoi d'un nouveau leurre aux allures de travesti brésilien armé de deux gros hameçons façon crochet de boucher - ça va faire mal!

Une demi heure plus tard, la ligne part à toute vitesse mais pas pour longtemps: Frank remonte ce qui semble offrir encore un peu de résistance, mais le brésilien a perdu ses deux hameçons et son costume de carnaval est lacéré... la prise était bien trop grosse, elle a tout arraché!

Au menu ce soir: pas de poisson, mais une excellente tortilla et tarte tatin en dessert. Nous terminons les pommes et le whisky (je crains la mutinerie à tout instant) !

Pendant le dîner, deux petits dauphins viennent amicalement se moquer de nos misérables tentatives de pêcheur du dimanche....

Vendredi 9 décembre:

Nous naviguons ce matin entre les grains. Les conditions sont changeantes (force et direction du vent) mais offrent à nos mirettes éberluées le spectacle hallucinant de ces rideaux de pluie entrecoupés de rayons de soleil et auréolés d'arc en ciel multicolores. Ian l'australien s'exerce au belge (qu'il croit toujours être du français): "C'est beau, dis, quoi!"

A 10 heures, il nous reste exactement 500 miles à parcourir jusqu'à la Martinique, cap 280° N.

Samedi 10 décembre:

C'est le calme plat: 1 noeud de vent tout au plus, une mer d'huile et un ciel fige. Nous progressons au moteur à faible allure, entre 4.5 et 5 noeuds.

Le lever du soleil ce matin fut le plus spectaculaire du voyage, arrivant quelques instants après le coucher d'une pleine lune immense qui nous avait éclairés toute la nuit comme en plein jour.... inoubliable!

Les prévisions étant peu favorables pour les prochains jours, nous irons là où le vent nous porte, privilégiant la vitesse au cap.

Nous attaquons notre premiere conserve de fruit, que Francois utilisera pour confectionner une tarte pour le dessert ce soir. Il nous reste quatre pommes de terre, trois oignons, deux gousses d'ail et une trentaine d'oeufs. Que demander de plus! 

Notre position actuelle: N 13°28.55'; W 54°39.31' (voir carte google map)
Bon vent à tous! 




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