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samedi 25 août 2012

Maine - part I: 10 - 25 août

Nous le savions, la météo pour notre traversée de 175 milles vers le Maine n'était pas idéale: on annonçait un peu de pluie et des pointes jusqu'à 25 noeuds de vent. Rien de très engageant, au point que nos amis de Pingouin ont renoncé à partir en même temps que nous. En effet, nous avons quitté Provincetown sous un ciel menaçant, et l'après-midi de ce 10 août fut globalement humide et grise, avec un vent soufflant en rafales sur une mer croisée. Seule éclaircie (subjective): la vision, non loin de Panta Rhei, d'un groupe de baleines (ou de rorquals?) crachant à la surface de l'eau - elles paraissaient si nombreuses et proches de l'étrave que Marc a dégainé l'avertisseur de brume pour tenter de les éloigner!

Jusqu'à la tombée de la nuit, donc, c'était peu joyeux mais gérable au point de vue de la navigation: avec un ris, puis deux, dans la grand voile, nous avancions bien (plus de 9 noeuds de moyenne, youhou!) et nous avons pu trouver sans trop de difficulté un petit coin (dans le carré, les mouvements secouant trop dans les cabines) où coucher les enfants, tête bêche. Mais la situation s'est rapidement dégradée, quand vers 23 heures le vent a forci brusquement jusqu'à 45 noeuds, nous obligeant, sous une pluie devenue torrentielle et dans une mer bien agitée, à affaler complètement la grand voile, enrouler le génois et sortir la trinquette (ou voile de tempête). Et comme si les conditions n'étaient pas encore assez difficiles, tous les instruments (GPS, auto-pilote, anémomètre) sont tombés simultanément en panne, nous forçant à nous relayer à la barre pendant toute la nuit sous une pluie diluvienne, les yeux rivés sur la boussole pour tenter de garder un cap approximatif. Navigation à l'ancienne...

J'ignore ce qui, dans ce genre de situation, fait que l'on ne se laisse pas paralyser par le stress - quelque chose, sans doute, comme le réflexe de survie. Objectivement, la situation était très délicate, voire même dangereuse, et la vision de Marc en tenue de quart et en gilet de sauvetage, trempé par la pluie, circulant (le moins possible, quand même, et en s'attachant à la ligne de vie) sur le pont pour régler le gréement relevait pour moi, accrochée à la barre, du cauchemar éveillé. Mais le calme du capitaine et sa maîtrise du bateau, et puis la confiance à laquelle on se refuse de renoncer, conduisent à faire face - et à décompter patiemment les heures jusqu'au lever du jour, qui faute de calmer définitivement les conditions ramènera au moins de la lumière... Vers 8 heures, le vent a finalement faibli et la pluie a cessé, laissant place a une brume épaisse (moins de 100m de visibilité) alors que nous zigzaguions entre les rochers dans la baie de Penobscot - bienvenue dans le Maine !

***

Mais à l'heure où j'écris ceci, nous sommes deux semaines plus tard et cette traversée paraît bien loin, tant nous nous délectons chaque jour des paysages du Maine, très largement à la hauteur de nos attentes. Si l'on nous avait décrit la beauté de la région, on nous avait aussi mis en garde contre ses deux "fléaux": la brume et...les casiers à homards. Du premier, nous avons subi assez peu d'épisodes (et même dans la brume, c'est beau!), et du second nous avons réussi à éviter le pire, en n'emmêlant q'une seule fois (un exploit quand on voit à quel point la mer ressemble à un champ de mines, criblée de bouées multicolores) la ligne d'un casier dans l'hélice du moteur - ce qui a valu à Marc de plonger, armé d'un couteau, pour couper ladite ligne.

Les cinq Pingouin (Jean-Michel, Perrine, Martin, Caroline et Rémi), qui ont finalement quitté Provincetown trois jours après nous (175 milles au moteur, sans vent sur une mer d'huile...), nous ont rejoints au mouillage dans le fond du Somes Sound sur l'île de Mount Desert où nous avons passé une semaine entière à explorer les multiples beautés de ce paradis de "grande nature": Mount Cadillac ("the earliest sunrise in the United States"), Jordan Pond, Echo Lake - autant de promenades magnifiques entre rochers et forêts, prétextes à toutes sortes de découvertes animales et végétales! Sur Mount Desert aussi, un pèlerinage jusqu'au petit Brookside Cemetery de Somesville, où sont enterrées sobrement Marguerite Yourcenar (partie d'ici faire une croisière dans les Caraïbes le jour de son élection à l'Académie Française, quand même...) et sa compagne Grace Frick, qui ont vécu sur l'île pendant 35 ans jusqu'à la fin de leurs vies. L'émotion est forte d'imaginer leurs longues promenades dans l'isolement des Monts Déserts, ici même...


Après Mount Desert, nous avons découvert -avec les Pingouin toujours, dont nous savourons tant la présence que nous ne les quittons que pour dormir...- d'autres mouillages magnifiques et sauvages (Swans Island, Round Island et Mc Glathery), où la nature constitue un terrain de jeu infini pour les cinq enfants, qui partent en kayak jusqu'au rivage et s'amusent ensemble des heures durant, personnages imaginaires des histoires qu'ils s'inventent, récoltant les mille et un trésors mis au jour par la marée basse ou barbotant dans l'eau (glacée), manifestement heureux comme des Robinson... Depuis quinze jours, il fait presque inconditionnellement grand beau, et les paysages sublimes de pins et de blocs de granit géants se découpent avec une netteté parfaite dans une lumière éblouissante. A la question que l'on m'a souvent posée concernant notre voyage ("qu'est-ce qui vous a le plus plu?"), je commence à avoir une idée de réponse...


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vendredi 10 août 2012

Massachusetts: Cuttyhunk, Martha's Vineyard, Woods Hole, Cape Cod: 1 - 10 août


31 juillet. Sous un ciel gris et une légère brume (après tout, c'est la Nouvelle-Angleterre), nous quittons Newport, et l'Etat de Rhode Island, pour entrer dans le Massachusetts. Première étape, l'île de Cuttyhunk. Le temps est maussade et le bateau gigote tout le long - et pour rajouter au folklore, Vadim fait une déplaisante découverte dans le bol de instant noodles au poulet qu'on lui sert pour le déjeuner: "Maman, Papa, ce sont des asticots, ça !!?" - "Euh..pose ta fourchette et balance le tout par-dessus bord!!". Pas de doute, ce voyage les aura initiés à l'aventure...

Nous arrivons cependant sans séquelles, mais sous une pluie devenue torrentielle, dans le Cuttyhunk Pond, bassin presque entièrement fermé devant le village de Gosnold. Le lendemain, divine surprise, nous nous réveillons sous un ciel parfaitement clair et partons allègrement à la découverte de l'île. Le charme opère tout de suite, l'endroit est étonnant: ici, on circule à pied (nu) ou en voiturette de golf, il y a pour tout commerce une épicerie minuscule, les jardins sont très soigneusement fleuris et la sensation d'isolement est forte - si la population s'élève à quelques centaine pendant les mois d'été, ils sont 12 (oui, douze) à vivre là toute l'année. L'école du village, charmante comme tout le reste, fonctionne pour 2 (oui, deux) élèves inscrits...un frère et une soeur. Le petit musée de l'histoire locale nous apprendra que l'île constitua, en 1602, le premier établissement des Anglais dans la région, que les hivers y sont incroyablement rudes et que les premiers habitants gagnaient leur vie en partant au large guider les bateaux de passage à travers les dangereux récifs des environs (dans le Vineyard Sound et Buzzards Bay, de part et d'autre de Cuttyhunk), qui valurent à l'époque à cette région le surnom de "graveyard of the Atlantic"... 

Nous partons ensuite pour Martha's Vineyard, à l'est: Vineyard Haven, Oak Bluffs puis Edgartown. Beaucoup plus grande, et plus touristique, que Cuttyhunk, l'île est néanmoins très belle et nous y passons quelque journées délicieuses entre le bateau (reprise de la classe, enfin!) et les promenades. Ici, on ne se baigne pas beaucoup: l'eau est verdâtre et assez fraîche, et puis si l'île fut il y a 35 ans le lieu du tournage des deux premiers volets de la mythique saga "Jaws" de Spielberg, ce n'est pas par hasard: cet été encore, une trentaine de grands requins blancs ont été aperçus non loin des côtes!

Dimanche 5 août, cap vers le nord-ouest pour une petite navigation jusque Woods Hole, à la pointe sud du Cape Cod. Nous y passons deux nuits dans le magnifique mouillage abrité de Hadley Harbour (qui n'a de "harbour" que le nom: tout autour de nous, deux grandes maisons en bois, un ponton -privé, bien entendu- et de la grande nature...). Nous y retrouvons Pingouin et Ortémi: balade en dinghies entre les îlots, construction par les enfants d'une belle cabane sur la plage, dîner entre amis et visite des multiples institutions (aquarium, musée, centre de recherche) océanographiques. La ville toute entière semble consacrée à l'étude sous-marine - et se targue d'ailleurs d'avoir formé l'équipe de chercheurs qui a découvert l'épave du Titanic.

Nous passons ensuite par Marion (quelques cacahuètes au yacht club, une promenade à travers les rues désertes, un tour à la plaine de jeux, et un tête-à-tête pour moi avec le vieux propriétaire de l'épicerie -tout droit sortie de "La petite maison dans la prairie"- qui m'emmène dans son pick-up chercher de l'argent au distributeur car il n'accepte pas les cartes bancaires) avant de passer le Cape Cod canal pour nous poster à Provincetown, à l'extrémité nord de la péninsule, qui sera le point de départ de notre traversée vers le Maine. Provincetown, ville touristique mais néanmoins authentique, historiquement libérale: les façades sont agrémentées de drapeaux arc-en-ciel, les galeries d'art sont nombreuses et les couples homosexuels se promènent fièrement sous le soleil. Comme Vadim se plaint de façon de plus en plus criante d'une douleur violente dans les oreilles, nous nous mettons en chasse d'un ORL. Nos recherches nous conduisent chez un Québecois qui ne pratique plus depuis huit ans (ne pas croire tout ce qu'on lit sur internet) mais offre de faire une exception et de nous retrouver dans la demi-heure sur la plage (à travers le télescope installé dans son jardin pour l'occasion, il repère Panta Rhei à l'ancre dans la baie!) pour nous emmener chez lui, car il se dit touché par le fait que nous soyons en voyage en bateau, venus de si loin...et francophones! Outre notre gratitude pour cette consultation improvisée et gratuite au pays de la médecine hors de prix, nous avons été enchantés par cette rencontre avec Jérôme, installé dans une incroyable maison construite dans les années 70, dans un vaste terrain sur le promontoire de la ville avec le compagnon dont il partage la vie depuis 35 ans. Retraité à 50 ans, il occupe son temps à jardiner, cultiver son immense potager, peindre et...rêver de naviguer. Pour le remercier de sa gentillesse, nous l'avons invité à passer quelques heures avec nous sur Panta Rhei aujourd'hui, pour une micro-navigation en forme d'aller-retour à la plage de l'autre côté de la baie avec Perrine et les enfants. Ce fut (encore) une bien belle journée. 

Demain matin, si malgré les prévisions le brouillard n'est pas trop dense, nous mettrons avec Pingouin le cap vers le Maine, notre destination la plus au nord sur la côte est-américaine avant de redescendre doucement vers le sud pour retrouver la mer caraïbe début décembre.